Lancia conçoit l’arme fatale pour battre la concurrence en course. 1985 est l’année de naissance d’une voiture extrêmement puissante, en mesure de fusionner les qualités de sa devancière, la « 037 », avec des technologies émergentes et désormais incontournables : de la traction intégrale au turbo.
Les premières ébauches de la Lancia Delta S4 commencent en janvier 1983, au moment où le modèle précédent, la Lancia Rally « 037 », domine le podium du Rallye de Monte-Carlo (Röhrl-Geistdörfer terminent premiers, tandis qu’Alén-Kivimäki sont deuxièmes). Cette course ouvre la saison qui verra Lancia remporter le Championnat du monde Constructeurs avec le dernier modèle à traction arrière.
Le directeur sportif Cesare Fiorio et toute l’équipe Lancia sont conscients que le futur des rallyes tourne autour de deux points essentiels : l’augmentation constante de la puissance des moteurs et la capacité à la transmettre au sol. L’actuelle Lancia Rally Gruppo B, évolution de la Beta Montecarlo, est inférieure à la concurrence sur ces deux aspects : malgré ses qualités, la suralimentation par compresseur volumétrique offre moins de puissance que le turbo, tandis que la traction intégrale utilisée par les Allemands et les Français s’avère nettement plus efficace que la traction arrière seule, surtout en cas de faible adhérence.
Il faut concevoir une voiture inédite, en mesure d’utiliser à la fois le turbo et la traction intégrale : d’où le nom S4, où S signifie suralimentée et le 4 désigne les 4 roues motrices. Mais l’équipe ne veut pas renoncer aux éléments qui rendent la « 037 » encore compétitive, comme son architecture qui permet une rapidité maximale lors des interventions en course et son couple moteur à bas régime que le compresseur volumétrique offre de toute façon plus que le turbo. Pour des raisons marketing, la voiture doit évoquer la silhouette de la Delta de série, dont elle ne reprend que le nom : c’est ainsi que naît la Lancia Delta S4, appelée chez Abarth, devenue depuis longtemps la division sportive du groupe, SE 038.
Le nouveau projet commence par le moteur : le premier coup de génie de l’ingénieur Lombardi, directeur technique moteurs chez Lancia depuis 1975, est de combiner les deux systèmes de suralimentation, en conservant le compresseur volumétrique qui reste actif à bas régime, mais qui est déconnecté par un système de dérivation à environ 3 000 tours/minute, lorsque la pression générée par le turbo commence à être efficace.
Le quatre cylindres n’est plus dérivé des unités de production, comme pour les précédentes Lancia Stratos HF (Ferrari Dino), ou de la famille Beta dans le cas de la Rally 037. Il est créé en tant qu’unité de compétition : le carter sec, l’allumage et l’injection électroniques, le bloc-moteur et les culasses en alliages légers ainsi que les chemises renforcées par des traitements céramiques sont quelques-unes des innovations techniques adoptées. Lombardi lui-même le définira comme « aussi sophistiqué technologiquement qu’un moteur de Formule 1 ».
La nouvelle transmission sur les quatre roues prévoit l’utilisation de trois différentiels : ceux à l’avant et à l’arrière sont de type autobloquant mécanique avec des réglages différents, tandis que celui au centre est équipé d’un sophistiqué viscocoupleur Ferguson, avec une répartition entre les deux essieux pouvant varier entre 65 % à l’arrière et 35 % à l’avant, jusqu’à un rapport de 80 %-20 %. La boîte de vitesses séquentielle à 5 rapports avec engrenages frontaux à denture droite présente la configuration typique ZF, avec le premier rapport en bas, la marche arrière vers l’avant avec « seringue » de déblocage et les 4 autres rapports en H.
L’architecture de la carrosserie s’inspire de la solution déjà utilisée sur la Lancia Rally, mais bénéficie de matériaux évolués. Le moteur reste central/arrière en position longitudinale, incliné à 20° et ancré à une cellule centrale formée de panneaux en tôle renforcés par un arceau de sécurité, avec deux petits châssis tubulaires soutenant les géométries des suspensions avant et arrière. Le compartiment avant abrite les radiateurs d’eau et d’huile, tandis que le réservoir d’essence est divisé en deux parties situées au centre, sous les sièges, ce qui confère à la voiture sa caractéristique position de conduite surélevée.
Enfin, la carrosserie est composée d’éléments légers, de capots et de portes en kevlar et en fibre de carbone, qui se démontent facilement pour l’entretien ou le remplacement. Les deux montants arrière, avec leurs grandes prises pour acheminer l’air dans le compartiment moteur, sont affectueusement appelés par certains « oreilles ».
Il faut produire au moins 200 exemplaires de la Lancia Delta S4 pour obtenir l’homologation en Groupe B, qui est accordée le 1er novembre 1985. Moins d’un mois plus tard, le premier doublé au Rallye de Grande-Bretagne, qui marque la fin du Championnat, sera le prélude à la victoire au Rallye de Monte-Carlo, ouvrant une saison 1986 funeste et controversée.
Il faut produire au moins 200 exemplaires pour homologuer la voiture en Groupe B. Ainsi, parallèlement aux premiers essais, la production de la version « Stradale » est lancée : elle doit respecter en grande partie l’architecture des versions « course ». Pour réduire les délais, celles-ci sont également assemblées dans l’atelier Abarth de Corso Marche à Turin. Le moteur conserve la double suralimentation compresseur volumétrique + turbo avec l’électronique IAW (Injection Allumage Weber) utilisée pour favoriser une distribution plus fluide et limiter la puissance à environ 250 ch, contre les 430, 480 et 510 ch des différentes configurations course qui adoptent des systèmes Bosch plus sophistiqués.
L’intérieur, soigné et beaucoup plus confortable, présente deux sièges anatomiques, sportifs et élégants, revêtus d’Alcantara, tout comme le tableau de bord et le tunnel central. Le compartiment moteur, situé derrière les sièges, est fermé par un plancher revêtu de la même moquette beige qu’au sol. Les échangeurs thermiques d’aspiration sont redimensionnés : ainsi la carrosserie peut conserver les deux coques caractéristiques en kevlar et en fibre de carbone, dotées d’une grande ouverture, qui englobent les ailes et rendent accessibles tous les organes mécaniques, à l’avant comme à l’arrière. La voiture est proposée dans trois couleurs officielles : rouge métallisé micacé (qui rappelle, dans une version actualisée, l’Amaranto Montebello des premières Fulvia Coupé HF des années 1960), noir métallisé et gris métallisé. Le prix de vente est quant à lui exceptionnel : 110 782 000 lires, soit plus que la Ferrari 328 GTB contemporaine dont le prix était d’environ 94 millions de lires.
Les essais de la version course débutent en automne 1984 sur le circuit du parc de La Mandria, une piste privée située près de Venaria Reale, aux portes de Turin. Giorgio Pianta, en tant que responsable mais aussi pilote d’essai, perfectionne la SE 038 avec l’aide précieuse des autres pilotes officiels de Lancia, dont le plus assidu est le jeune Miki Biasion.
L’homologation en Groupe B est accordée le 1er novembre 1985. Après quelques apparitions comme voiture ouvreuse hors compétition, qui font immédiatement sensation auprès de la presse et des professionnels pour les performances démontrées, elle peut enfin être inscrite en course. Les débuts officiels dans le Championnat du monde ont lieu lors de la dernière course de la saison : le redoutable Lombard RAC Rally en Grand-Bretagne. Deux Delta S4 montent sur les plus hautes marches du podium : l’équipage Toivonen-Nail en première position et Alén-Kivimäki à la deuxième place. Le Finlandais et son copilote américain d’origine italienne Sergio Cresto confirment les qualités de la Delta S4 en janvier de l’année suivante, lors du Rallye de Monte-Carlo, course qui ouvre la saison 1986.
Le succès monégasque met non seulement en avant la vitesse de la voiture, mais également la qualité du projet au niveau de la rapidité des réparations et des compétences techniques de l’équipe : après un accident frontal dévastateur pendant une étape de liaison, les mécaniciens remontent miraculeusement en une demi-heure le train avant détruit et remettent la voiture en état de marche, ne perdant que deux minutes au Contrôle horaire et 30 secondes lors de l’épreuve spéciale suivante. Ils terminent la mise au point, notamment des suspensions, au point d’assistance suivant et permettent ainsi à Toivonen-Cresto de remporter la course.
En mai, alors qu’elle était largement en tête du Tour de Corse, la Delta S4 de Toivonen-Cresto sort de la route et l’équipage perd la vie dans l’accident. Lancia retire toute son équipe et la Fédération décide peu après d’interdire les voitures trop puissantes du Groupe B à partir de la saison suivante. Extrêmement touchée, l’équipe continue tout de même à participer au Championnat, à l’issue duquel la Lancia Delta S4 pilotée par Alén-Kivimäki signe de beaux résultats.
Après la tragédie corse, Lancia subit un autre coup du sort : le 18 décembre, alors que le Championnat est terminé, la Fédération accepte le recours de Peugeot, disqualifiée en octobre lors du Rallye de Sanremo pour avoir utilisé des jupes aérodynamiques mobiles. Impossible de refaire la course : Lancia, qui avait réalisé le triplé à domicile, perd ses points, permettant ainsi à Peugeot de remporter le Championnat du monde Constructeurs et le titre Pilotes avec Kankkunen.
Entre-temps, l’expérimentation a continué chez Lancia : l’ingénieur Lombardi avait déjà préparé l’évolution du moteur, avec la culasse futuriste « Triflux » qui aurait permis une nouvelle augmentation de puissance, tandis que l’ingénieur Limone avait imaginé une nouvelle carrosserie en matériaux composites. La Lancia ECV, héritière de la S4 dans le Groupe S, était déjà une réalité.
Aujourd’hui, une magnifique Delta S4 Stradale, une S4 de course dans la livrée Lancia-Martini et l’évolution Lancia ECV2 sont exposées à l’Heritage HUB de Stellantis à Turin. On peut ainsi observer les similitudes et les différences entre la version routière et le modèle de compétition, mais aussi découvrir ce qu’aurait pu être son évolution. Mais ce n’est pas tout : avec l’interdiction du Groupe B et le passage en Groupe A, Lancia écrit, avec les évolutions de la Delta HF 4WD, l’une des pages les plus glorieuses et les plus longues du rallye. Toutes ces voitures sont également exposées via Plava.